Berthe Morisot, "l'ange de l'inachevé"
Le musée des Beaux-Arts de Pau s’engage dans la lutte contre toutes les formes de discriminations en proposant des articles sur des artistes femmes ou des oeuvres évoquant l’image de la femme à travers les siècles. Aujourd’hui c’est Berthe Morisot, une artiste passionnée, indépendante et pionnière qui nous intéresse. Sa carrière et son style novateur en feront l’une des figures de proue des avant-gardes.
Nom
Berthe Morisot, "l'ange de l'inachevé"
Adresse
Musée des Beaux-Arts de Pau, Rue Mathieu Lalanne, Pau, France
Téléphone
05 59 27 33 02
Tarifs
Entrée gratuite
Adresse email
musee.beauxarts@ville-pau.fr
Horaires
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
Une jeunesse passionnée

Berthe Morisot naît en 1841 à Bourges, au sein d’une famille de la grande bourgeoisie française. Dès leur plus jeune âge, Berthe et sa sœur, Edma, sont sensibilisées à la pratique artistique avec des cours de dessin et de piano.
Très rapidement, l’intérêt pour la peinture se transforme en passion, et les deux sœurs bénéficient des conseils formateurs de l’exigeant Camille Corot. À ses côtés, elles découvrent la peinture en plein-air au bord des étangs de Ville-d'Avray et la copie des grands maîtres au Louvre. Un atelier dans la demeure familiale leur permet également de perfectionner leur technique.
Morisot force son destin en 1864 en participant au Salon, exposition officielle de peintures et de sculptures, et affirme publiquement sa volonté d’être peintre professionnelle. Sa quête d’indépendance la pousse par ailleurs à s’émanciper d’un milieu bourgeois trop étouffant.
Elle devient alors la muse d’Edouard Manet (dont elle épousera le frère, Eugène). De cette étroite collaboration naît une complicité artistique intense. Malheureusement, Berthe est rattrapée par la marche forcée du monde : le siège de Paris en 1870-71, la destruction de son atelier, les pressions familiales, la dépression… Obstinée, elle choisit toutefois de dédier sa vie à la peinture, de se battre contre les préjugés et s’engage dans la voie de l’indépendance.
Edouard Manet, Berthe Morisot au bouquet de violettes, huile sur toile, 1872, musée d'Orsay, Paris

1ere image en haut à gauche: Il existe, sur les bords de la Seine, un établissement interlope où de vieux messieurs obscènes sont payés par l’État pour enseigner, à de jeunes dépravés, l’étude abhorrée du nu. 2eme image en haut à droite : On peut y voir également des jeunes filles sans pudeur (bien que d’excellentes familles), qui passent leur temps à dévisager de sales bonshommes complètement déshabillés. Cet antre infâme s’appelle « l’École des Beaux-Arts ». 3ème image en bas : De cette école de pornographie artistique sortiront des êtres sans pudeur, sans moralité, qui passeront leur immonde existence en compagnie de nymphes dénudées. Et il reproduiront à l’infini les formes provocantes, voluptueuses, de ces impudiques créatures. Et ce faisant, ils acquerront gloire et fortune.
Femme et artiste au XIXème siècle, un combat au long cours
Le XIXème siècle est une période charnière pour les femmes qui mènent un combat crucial, celui d’être considérées comme artistes à part entière.
En effet, si le nombre de femmes artistes se multiplie, ces vocations restent longtemps prisonnières du carcan familial. On y considère alors la peinture (et la musique) comme un passe-temps pour bien éduquer les jeunes filles bourgeoises désœuvrées.
Pour celles qui persévèrent, de nombreux obstacles se dressent devant elles : cantonnement à des genres dits secondaires (le portrait, le paysage et la nature morte), interdiction d’utiliser un modèle nu, commandes officielles quasi inexistantes, l’École des beaux-arts inaccessible jusqu’en 1897. Il n’existe alors qu’une seule institution publique ouverte aux femmes : l’École nationale de dessin pour jeunes filles, fondée en 1803 à Paris. Les académies privées, quant à elles, accepteront bien les femmes à partir de 1873 mais à des tarifs exorbitants, loin des standards appliqués aux hommes.
Même si quelques artistes parviennent à exposer au Salon de Paris à partir de 1860, une carrière artistique institutionnelle est alors utopique pour une femme. En témoigne la récurrence de railleries et de commentaires misogynes et peu élogieux : « l’intrusion sérieuse de la femme dans l’art serait un désastre sans remède », disait Gustave Moreau.
Ce n’est qu’à la toute fin du XIXème siècle qu’elles finiront par entrevoir un début de reconnaissance. Elles intègrent enfin le réseau artistique classique composé des ateliers, écoles, galeries, salons, musées, journaux, critiques influents et collectionneurs.
Peindre la vie moderne

Au début des années 70, Edma Morisot se marie et abandonne la peinture. Orpheline de cet alter égo artistique, Berthe détruit ses œuvres de jeunesse et trouve désormais sa voie auprès des « Indépendants ». Ces derniers, surnommés impressionnistes, s’attirent la foudre de la critique, en 1874, en présentant des œuvres révolutionnaires telles que Impression, soleil levant (Claude Monet). Plus de Salon pour Berthe, mais sept expositions, de 1874 à 1886, associées à ce mouvement qui fait la part belle à la lumière, à l’éphémère et aux touches de couleurs pures bien visibles. Elle côtoie Renoir, Degas, Pissarro et s’impose comme l’une des figures centrales du groupe.
Si sa production se compose de paysages et scènes de la vie quotidienne, elle accorde surtout une place particulière au portrait. Elle multiplie ainsi les figures peintes sur le motif, notamment dans les jardins, qu’ils soient privés ou publics. Sa sœur mais également bonnes et nourrices sont des modèles de prédilection pour Morisot. Véritable peinture de l’intime, le regard que porte l’artiste sur le travail des invisibles confère dignité et poésie à ses sujets. Il ne s’agit en aucun cas d’un manifeste politique, mais ses œuvres interrogent tout de même le statut de la femme au XIXème siècle.
Enfin, le fil conducteur de la représentation de la vie moderne chez Morisot est le plein air : la végétation envahit l’arrière-plan, le ciel s’efface au profit d’un entrelacement de plantes et de fleurs aux tons pastel. Il s’agit pour l’artiste de peindre son environnement tel qu’il est et d’effleurer au plus près l’instantanéité.
Ainsi, ces différentes scènes deviennent des sujets d'expérimentations privilégiés. La mise en scène de l’espace, la transcription d'une impression immédiate, les effets de la lumière, aussi fugaces soient-ils, la conduisent à adopter une touche de plus en plus rapide et visible, fusionnant figure et arrière-plan dans une explosion de couleurs.
En quête d’exploration perpétuelle Berthe Morisot meurt prématurément en 1895. Artiste prolifique, elle laisse un corpus composé de 423 tableaux, 191 pastels, 240 aquarelles, 8 gravures, 2 sculptures et plus de 200 dessins. Sa faible représentation dans les collections publiques a empêché une reconnaissance méritée. Des rétrospectives récentes (par exemple au musée d’Orsay en 2019) et des publications scientifiques réhabilitent pleinement cette passionnée dont la production explore un monde poétique, lumineux et paisible.
Berthe Morisot, Le Jardin à Bougival, huile sur toile, 1884, musée Marmottan Monet

Berthe Morisot dans les collections du musée des Beaux-Arts de Pau
Berthe Morisot et son mari Eugène Manet affectionne le calme et la sérénité de Bougival. Ils y séjournent essentiellement en été quand le parc arboré est fleuri. Entourée des siens, dans ce jardin qui lui inspire certaines de ses toiles les plus audacieuses, l’artiste y vit des moments de plénitude. C’est ainsi qu’elle puise au sein de son proche entourage les sujets qui décrivent cette harmonie familiale. Parmi ses modèles favoris, Pasie, sa bonne, occupe une place privilégiée. Séduite par sa coquetterie et son maintien, Berthe l’immortalise à de nombreuses reprises.
Ici, on observe un fond largement brossé où les formes et les détails se dissolvent dans une symphonie de verts teintés de bleus et de taches blanches. Les hautes herbes, les rosiers, les contours du banc et le vêtement de Pasie sont esquissés avec une grande liberté. Ces larges touches, visibles, font penser à des zébrures.
Il se dégage de cette scène, baignée d’une lumière irradiant la végétation et les tissus, une atmosphère de calme et de sérénité.
En véritable virtuose, Morisot peint le délicat visage de Pasie, absorbée par sa tâche ou bien perdue dans un songe d’où émane une silencieuse poésie.
A noter que l’artiste a laissé apparente la toile à nue dans les angles. Ce procédé où sa touche se fait toujours plus lâche lui a valu en 1880 le surnom de « l’ange de l’inachevé ».
La suggestion des bibliothécaires
Le réseau des médiathèques propose de prolonger la découverte de Berthe Morisot avec une sélection de trois ouvrages.
- Un très joli album jeunesse : " Le lévrier de Berthe Morisot ", écrit par Léna Oka et illustré par Zaü. Dans cet album, le lévrier du titre s'appelle Laërte, et il s'est échappé d'un tableau de Berthe Morisot pour aller à la rencontre d'une petite fille d'aujourd'hui, Julie. Au travers de leurs échanges se dévoilent la vie et l’œuvre de l'artiste. Les très belles illustrations de Zaü répondent aux tableaux de Berthe Morisot, pour un récit qui se fait documentaire. Le lévrier de Berthe Morisot
- Le catalogue de la rétrospective consacrée par le Musée d'Orsay à Berthe Morisot en 2019 : Berthe Morisot
- Un essai de Laure Adler et Camille Viéville : Les femmes artistes sont dangereuses. « On ne naît pas artiste mais on le devient. Du plus loin qu'on s'en souvienne, l'histoire de l'art a été pensée, écrite, publiée, transmise par des hommes. Et quand on est née femme, être artiste, le prouver, y avoir accès, produire, montrer, continuer à le demeurer est un combat permanent, dangereux, épuisant physiquement, intellectuellement et psychiquement. Le temps semble aujourd'hui propice pour revisiter et regarder autrement les créations de celles qui ont eu le courage de défier les règles pour assouvir leur vocation. » Laure Adler